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Insuffisance ventriculaire gauche systolique

Classifications
 
On peut définir la dysfonction ventriculaire proprement dite comme un défaut de contractilité myocardique, alors que l’insuffisance cardiaque est l’ensemble des conditions hémodynamiques dans lesquelles le débit cardiaque ne satisfait plus aux besoins de l’organisme ; c’est un syndrome clinique caractérisé par une intolérance à l’effort et une dyspnée [12]. L’insuffisance peut concerner la systole et/ou la diastole. En effet, on estime qu'entre le tiers et la moitié des malades qui présentent une dyspnée d’origine cardiaque a une fonction systolique conservée mais souffre d’une dysfonction diastolique isolée, caractérisée par une élévation des pressions de remplissage et une stase d’amont [1,13,16,18]. Cliniquement, l’insuffisance systolique se manifeste par une fatigabilité et une intolérance à l’effort ; c’est un défaut éjectionnel (forward failure). L’insuffisance diastolique, par contre, entraîne une stase pulmonaire, d’où la dyspnée typique de l’excès de liquide interstitiel dans le parenchyme interalvéolaire (backward failure). Toutefois, la différenciation entre fatigabilité et dyspnée est en partie illusoire en clinique. Le défaut de compliance diastolique, qui peut survenir isolément dans l’insuffisance diastolique, est en général présent en cas d’insuffisance systolique majeure [15]. Certaines affections peuvent provoquer une défaillance cardiaque par haut débit systémique (high output failure) : anémie, shunt gauche-droit, thyréotoxicose, maladie de Paget, grossesse. 
 
La distinction entre dysfonction systolique et diastolique n’est pas aussi tranchée que ne le laisse supposer leurs définitions. Deux théories s’affrontent à ce sujet [10,13].
 
  • L’insuffisance ventriculaire est un continuum entre la pathologie à prédominance diastolique et la pathologie à prédominance systolique, toutes deux caractérisées cliniquement par la stase et la dyspnée ; dans la première, la stase est accompagnée d’une fraction d’éjection conservée, alors que celle-ci est abaissée dans la seconde. La différence essentielle entre les deux extrémités du spectre est la dilatation et le remodelage du ventricule. Environ 20% des cas d’insuffisance diastolique évoluent vers une insuffisance systolique.
  • Les deux entités correspondent à des maladies différentes, caractérisées par des lésions structurales distinctes : remodelage concentrique avec hypertrophie des cardiomyocytes dans l’insuffisance diastolique versus remodelage excentrique avec réduction de la densité des myocytes dans l’insuffisance systolique. D’autre part, la thérapeutique améliore significativement le pronostic de la dysfonction systolique, mais non celui de la dysfonction diastolique. 
A la lumière des travaux récents sur la mécanique ventriculaire, une troisième théorie s’est développée [14]. L’insuffisance ventriculaire est divisée en trois catégories. 
 
  • Dysfonction sous-endocardique, avec atteinte préférentielle des fibres longitudinales, défaut de relaxation et retard de rotation en systole. Structurellement, la couche sous-endocardique est pauvre en récepteurs β ; comme elle est plus fragile, elle occasionne une dysfonction longitudinale précoce caractérisée par un défaut de relaxation mais une fraction d’éjection systolique conservée.
  • Dysfonction sous-épicardique, avec perte de la rotation systolique, de la relaxation protodiastolique et de l’effet de succion ; la couche sous-épicardique est partculièrement riche en récepteurs β.
  • Dysfonction transmurale, avec atteinte de toutes les couches ; comme la couche circulaire est capitale pour l’éjection (80% de la pression systolique est obtenue par le raccourcissement radiaire), cette dysfonction se caractérise par un effondrement de la fraction d’éjection et une dilatation du ventricule.
 
En clinique, on préfère utiliser une classification en 4 stades, qui permet de définir la thérapeutique et le pronostic (Figure 5.103) [5,7].  
 
  • Stade A : malade asymptomatique et sans signes d’insuffisance cardiaque, mais présentant des facteurs de risque pour la maldie (HTA, diabète, coronaropathie, présence de toxiques comme l’alcool ou la radiothérapie).
  • Stade B : malade porteur d’une cardiopathie paucisymptomatique (infarctus, valvulopathie) dont la fraction d’éjection est normale ou à la limite inférieure de la norme (FE ≥ 0.5).
  • Stade C : présence d’une cardiopathie symptomatique entraînant la dyspnée, la fatigue et une réduction de la tolérance à l’effort ; la FE est abaissée (0.35 - 0.5).
  • Stade D : insuffisance cardiaque réfractaire, patient symptomatique au repos, FE est < 0.35 (Vidéo).


    Vidéo: vue mi-oesophagienne 4-cavités d'un patient en insuffisance bi-ventriculaire; le VG est dilaté, arrondi et hypocontractile; le VD est agrandi et dysfonctionnel.
     

Figure 5.103 : Evolution de l’insuffisance cardiaque en quatre stades, avec leurs caractéristiques symptomatiques, leurs plans thérapeutiques et leurs pronostics [4,7].
 
La dyspnée et la fatigabilité sont des symptômes peu spécifiques [17]. L’orthopnée, la distension jugulaire, les râles de stase et la cardiomégalie sont plus spécifiques (70-90%) mais manquent de sensibilité (30%) [8]. On peut regrouper dans un même graphique la symptomatologie liée au bas débit (hypotension, pression différentielle étroite, extrémités froides, tachycardie, IC < 2 L/min/m2) et celle liée à la stase en amont (orthopnée, râles de stase, oedèmes, extrémités moites, PAPO ↑, PVC ↑, B3, reflux hépato-jugulaire) ; on peut ainsi définir 4 régions selon la perfusion des extrémités (Figure 5.104) [11].
 
  • Extrémités chaudes et sèches, situation normale;
  • Extrémités froides et sèches : hypoperfusion à pression de remplissage basse (5% des cas d’insuffisance ventriculaire);
  • Extrémités chaudes et moites : hautes pressions de remplissage mais débit systolique conservé (67% des cas);
  • Extrémités froides et moites : pressions de remplissage élevées et bas débit systémique (28% des cas). 
 

Figure 5.104 : Représentation graphique de la combinaison des symptomatologies croissantes de bas débit cardiaque (insuffisance systolique, en rouge) et de pression de remplissage élevée (insuffisance diastolique, en bleu). On détermine ainsi 4 régions qui correspondent à la manière dont se présentent les extrémités du malade. Les chiffres représentent le pourcentage de patients dans ces catégories sur un collectif de 486 malades [11].
 
Représentations graphiques
 
La relation de Starling du VG n'offre pas le même aspect chez l’individu normal et chez le patient en insuffisance ventriculaire systolique (voir Figure 5.47). D'une courbe exponentielle ascendante vers un plateau, elle passe à une courbe en cloche. Dans l'insuffisance congestive, le débit cardiaque redescend en cas d'élévation de précharge au-delà d'une valeur optimale. La courbe de Frank-Starling du malade en dysfonction systolique se différencie donc par quatre caractéristiques [2].
 
  • Déplacement de la courbe vers le bas (basse performance systolique) et vers la droite (haut volume de remplissage).
  • Faible pente de la phase de recrutement ; l’augmentation de la précharge a peu d’effet sur la force de contraction.
  • Genou de la courbe plus précoce.
  • Au-delà du genou de la courbe, baisse de la performance systolique avec l'augmentation de la précharge ; ce phénomène est dû à la dilatation ventriculaire par surcharge de volume, qui entraîne une décompensation.
Dans un cœur normal, le basculement du septum interventriculaire dans le VG à cause d’une surcharge de volume du VD en cas de volémie excessive peut empiéter sur la cavité gauche et réduire son remplissage (Figure 5.105) ; le VG recule ainsi sur sa courbe de Starling et son débit baisse, mais il ne s’agit pas d’une dysfonction systolique, raison pour laquelle la courbe de Starling est plate au-delà de son genou. 
 

Figure 5.105 : Surcharge ventriculaire droite. Le septum interventriculaire bombe dans le VG et en réduit considérablement le volume diastolique, comme en témoigne ici le rétrécissement de sa surface en diastole; c’est l’effet Bernheim. Le septum interauriculaire bombe dans l’OG à cause de la surpression dans l’OD. Le remplissage restreint du VG se traduit par une baisse du volume systolique, parce que le VG recule sur la courbe de Starling normale (en bleu) par baisse du volume télédiastolique; la contractilité reste cependant inchangée à haut remplissage (plateau horizontal). La courbe d'un VG en insuffisance ventriculaire (en rouge), au contraire, affiche un abaissement de son volume systolique lorsque le remplissage est élevé à cause de sa dilatation et de sa défaillance inotrope.
 
Comme la courbe de l'insuffisance ventriculaire est plus plate que la courbe normale, les variations de précharge modifient peu le débit systolique. Cela se traduit par deux conséquences hémodynamiques.
 
  • Lors de ventilation en pression positive, seuls les Δup apparaissent sur la courbe de pression artérielle systolique ; celle-ci oscille très peu avec le cycle respiratoire (voir Figure 5.97). La stabilité tensionnelle lors de l’induction d’une anesthésie est un bon signe d’insuffisance gauche systolique.
  • La réponse hémodynamique au Valsalva est différente de l’image normale ; la courbe prend une allure "carrée" : les phases 1 et 2 sont marquées par une élévation homogène et constante de la pression systémique, et la phase 3 par un retour aux valeurs de départ ; il n’y a pas de phase de compensation avec bradycardie (phase 4) (voir Figure 5.100). L'augmentation de la Pit est bien tolérée puisqu'elle représente une aide à l'éjection du VG et une baisse de sa postcharge effective [3].
La boucle pression – volume de l’insuffisance cardiaque est caractérisée par plusieurs points (voir Figure 5.55).
 
  • Pente Emax abaissée (FE < 0.35);
  • Courbe de compliance déplacée vers le haut et vers la gauche;
  • Diminution du volume systolique;
  • Augmentation du travail de pression (TCI) par rapport au travail d’éjection (TCE).
Bien qu'elle soit déplacée vers de hauts volumes de remplissage, la boucle P/V est restrictive et sa surface est diminuée (baisse du travail d'éjection). Ce rétrécissement traduit la baisse du travail éjectionnel (stroke work). Le seul moyen de l'augmenter est de redresser la pente de l'Emax et d'ouvrir l’angle entre la pente Emax et la courbe de compliance (effet inotrope positif). L'augmentation du remplissage n'aboutirait qu'à diminuer encore la surface de la boucle, parce que la courbe de compliance, qui est anormalement redressée, s'élève plus rapidement que l'Emax, dont la pente est faible.
 
Le ventricule est d'autant plus dépendant de la postcharge que sa performance globale est abaissée (voir Figure 5.48). La loi de Laplace spécifie que la tension de paroi (σ) augmente avec le rayon d’une sphère (r) et diminue avec son épaisseur (h), quelle que soit la pression (P) développée : σ = (P • r) / 2h. Le ventricule gauche défaillant est donc plus sensible à la postcharge puisqu’il est dilaté et que sa paroi est amincie. Dans ces circonstances, les mêmes performances hémodynamiques de pression et de débit que celles d’un cœur normal demandent davantage de travail ventriculaire et de mVO2 parce que le stress de paroi est plus élevé. Le myocarde défaillant ne peut pas compenser une augmentation de postcharge par une augmentation de la contractilité (effet Anrep), ni par un mécanisme de Starling déjà sollicité au maximum ; la fraction d'éjection baisse lorsque la postcharge s’élève. A l'inverse, l'effet d'une baisse de postcharge sur l'accroissement du volume éjecté est d'autant plus marqué que la fonction systolique est plus mauvaise, puisque la pente de l'Emax est plus faible. D’où l’importance de maintenir des résistances vasculaires systémiques (RAS) basses chez le malade en insuffisance systolique gauche.
 
La contractilité augmente avec la fréquence cardiaque, parce que le raccourcissement de la diastole diminue le temps à disposition pour la recapture par le réticulum sarcoplasmique du Ca2+ libéré pendant la systole (effet Bowditch). L’excès de Ca2+ à disposition favorise la contraction, dont la force s’accroît. Chez le jeune adulte, cet effet fonctionne jusqu’à une fréquence de 150 batt/min. Dans l’insuffisance ventriculaire, ce phénomène est perdu [9].
 
La faible réserve du ventricule ne lui permet pas de maintenir son débit lorsque la contraction auriculaire (FA, rythme nodal) ou la synchronisation de la contraction ventriculaire (bloc de branche) sont perdues [8].
 
Mécanismes de compensation
 
Lors d'insuffisance cardiaque, l'organisme maintient la fonction ventriculaire par trois mécanismes compensatoires.
 
  • L'augmentation du volume télédiastolique, pour se positionner de manière optimale sur la courbe de Franck-Starling;
  • L'hypertrophie ventriculaire, pour compenser la surcharge de pression ou de volume (remodelage);
  • La stimulation sympathique, pour maintenir le débit cardiaque.
Ces mécanismes offrent dans un premier temps une adaptation adéquate et assurent un débit satisfaisant au repos, bien qu'ils ne le permettent pas à l'effort. Cependant, les phénomènes compensatoires ont eux-mêmes leurs défauts parce qu'ils provoquent certaines rétro-actions accélérant la dégradation. Par exemple, la stimulation sympathique amène bien une augmentation du débit (tachycardie, effet inotrope positif) et une meilleure pression de perfusion (augmentation des résistances périphériques), mais ces réactions augmentent la mVO2, le travail du myocarde et sa postcharge, donc précipitent sa défaillance [6]. Lorsque la fonction cardiaque continue à se dégrader, les mécanismes compensatoires deviennent contre-productifs et la situation se décompense.
 
Quatre situations principales conduisent à la défaillance cardiaque: la surcharge de pression (sténose aortique, hypertension), la surcharge de volume (insuffisance valvulaire, shunt, sepsis, thyrotoxicose), les maladies myocardiques (ischémie, cardiomyopathie), et la restriction au remplissage (péricardite, tamponnade, cardiomyopathie restrictive). Les deux premières conduisent à un remodelage ventriculaire sous forme d’une hypertrophie, et la troisième à un remodelage cicatriciel. La dernière est une insuffisance primairement diastolique.
 
 
Insuffisance systolique du VG
La courbe de Frank-Starling de l'insuffisance systolique du VG est caractérisée par:
    - Déplacement de la courbe vers le bas (faible volume systolique) et vers la droite (haut volume de remplissage)
    - Faible pente de recrutement (le remplissage n'améliore pas la performance systolique)
    - Redescente de la courbe au-delà de son genou
La boucle pression / volume est caractérisée par:
    - Faible pente de l'Emax
    - Redressement de la courbe de compliance
    - Restriction de la surface (travail externe diminué)
    - Diminution du volume systolique
Le volume systolique diminue lorsque la postcharge augmente.


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
 
 
 
Références
 
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05 Physiopathologie cardio-vasculaire