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Domaine et limites 

Appareillage

Depuis une quinzaine d'années, l'idée que des médecins non-cardiologues puissent pratiquer une échocardiographie s'est progressivement imposée. L'arrivée sur le marché d'une nouvelle gamme de produits a popularisé la technique: machines simplifiées de faible encombrement et facilement transportables, appareils de poche (pocket-size echo), ou sondes adaptables à un iPhone (Figure 25.255) [3].
 
  • Appareil portable de la taille d’une ordinateur 17 pouces comprenant toutes les fonctions courantes (imagerie 2D, Doppler spectral et couleur, mode TM) ainsi que des sondes transthoracique et transoesophagienne.
  • Appareil "de poche" aux fonctions limitées: imagerie 2D à secteur fixe (< 75°), Doppler couleur à échelle unique, mesures restreintes à des distances et des surfaces; la seule sonde fournie est transthoracique (1.7-3.8 MHz).
  • Sonde adaptable à un smartphone: le transducteur et le processeur se trouvent dans la sonde, le téléphone ne disposant que d'une application pour le fonctionnement de son écran.


Figure 25.255 : Trois catégories de machines d'échocardiographie. A: échocardiographe haut de gamme utilisé en cardiologie et en salle d'opération de chirurgie cardiaque. B: appareil portable de type "laptop". C: appareil de poche.

Ces appareils permettent des mesures simples comme le diamètre ou la surface, et, pour ceux qui disposent d'une analyse Doppler complète, des calculs comme le flux ou le volume d'éjection systolique. Mais ces prestations ne sont pas un prérequis puisque la formation recommandée pour l'utilisation de ces dispositifs ne comprend pas de mesures quantitatives. Toutefois, les machines destinées à un examen minimal ne sont pas équivalentes aux plateformes haut de gamme utilisées en cardiologie ou en salle d'opération; leur résolution bidimensionnelle est plus faible, elles sont dépourvues de nombreux dispositifs d'amélioration des images et sont plus sensibles aux artéfacts. Leur sensibilité et leur spécificité pour les principales pathologies cardiaques sont en moyenne de 70% et de 80% respectivement, donc bien inférieures à celles des instruments conventionnels [3]. Les modèles de poche ne sont pas connectables à l'ECG et ont peu de moyens d'acquisition et de stockage, bien qu'il soit recommandé que tout examen doive être enregistré pour une revue ultérieure des images [21]. Lorsqu’ils sont manipulés par des cardiologues formés en écho, ils ont néanmoins un impact clinique significatif et une bonne corrélation avec l’examen complet au moyen d’une machine sophistiquée [2,3,19].
 
  • Correction du diagnostic clinique dans 16% des cas, apport diagnostic supplémentaire significatif dans 10% des cas.
  • En comparaison avec un examen complet, la corrélation est excellente pour l’évaluation du péricarde et de la fonction du VG (r = 0.9), bonne pour l’évaluation du VD (r = 0.85), et juste satisfaisante pour celle des valves (r = 0.6-0.8).
Mais ce que réussissent des cardiologues entraînés chez des malades de médecine interne n’est pas extrapolable à ce que peuvent espérer faire des intensivistes rapidement formés chez des patients  immobiles, dyspnéiques, instables, souvent intubés et parfois bardés de drains et de pansements. Ces appareils "de poche" doivent être considérés comme un simple complément de l’examen clinique ("super-stéthoscope") mais non comme le remplacement d’un examen échocardiographique complet [15,18].

Examen de dépistage

Le concept de cet examen simplifié est de permettre à un anesthésiste, un intensiviste ou un urgentiste de pratiquer une échocardiographie transthoracique (ETT) de dépistage chez des malades instables afin d'orienter leur prise en charge thérapeutique. Pour l'anesthésiste, il permet d'élucider les problèmes de défaillance hémodynamique périopératoire [1,17]. Dans le cadre de la télémédecine, il est aussi envisageable de le pratiquer depuis une ambulance ou depuis le cabinet d'un généraliste isolé avec transmission en ligne des images à un spécialiste [6]. Ceci ne remplace nullement un examen complet conduit par un médecin pleinement formé à l'échocardiographie, mais se présente plutôt comme un complément à l'examen clinique, au même titre que l'ECG ou les troponines. Il fait partie d'un ensemble d'investigations ultrasonographiques couramment réalisés par des non-spécialistes aux urgences ou aux soins intensifs, comme l'examen US abdominal, pulmonaire ou vasculaire [7]. Comme il est conçu pour répondre à certaines questions précises, il est habituellement dénommé Focused Cardiac Ultrasounds (FoCUS) [21], mais il en existe différentes versions: FEEL (Focused Echocardiography in Emergency Life Support), FEER (Focused Echocardiographic Examination in Resuscitation), FATE (Focused Assessment with Transthoracic Echocardiography), FAST (Focused Assessment with Sonography for Trauma), HEART (Hemodynamic Echocardiography Assessment in Real Time), PAUSE (Perioperative Anesthesiology UltraSonographic Evaluation), RUSH (Rapid Ultrasound in Shock) [1,4,14]. Les modalités d'application de ce concept ont été développées dans le cadre du World Interactive Network Focused On Critical UltraSound (WINFOCUS) [16].

L'examen ETT simplifié est défini par certaines caractéristiques [21].
 
  • Il est dirigé (goal-oriented) et orienté sur la réponse à des questions précises;
  • Il est limité dans sa portée;
  • Il ne comprend qu'un nombre restreint de vues;
  • Il est essentiellement qualitatif et ne comporte pas de mesures quantitatives;
  • Il est exécuté par des cliniciens non-cardiologues à la formation limitée;
  • Il est conduit au lit du malade (point-of-care), souvent dans des conditions difficiles, et peut y être répété selon le besoin.
Le champ d'application de cette échocardiographie dirigée est restreint à des situations où l'écho peut répondre de manière binaire (oui/non, présent/absent) à des questions soulevées par la prise en charge immédiate du patient en choc hémodynamique [10,12,13,20,21].
 
  • Hypovolémie;
  • Défaillance ventriculaire gauche (dimension télédiastolique, fonction systolique);
  • Défaillance ventriculaire droite (dimension télédiastolique, fonction systolique, position du septum interventriculaire);
  • Syndrome coronarien aigu: akinésie segmentaire, insuffisance mitrale (le plus délicat);
  • Syndrome aortique aigu: dilatation/dissection de la racine de l'aorte, insuffisance aortique (le plus incomplet);
  • Valvulopathie sévère (le plus problématique);
  • Epanchement péricardique, tamponnade;
  • Asystolie, activité électrique sans pouls;
  • Découvertes inattendues: dilatation et dysfonction ventriculaire, hypertrophie du VG, dilatation de l'OG.
Certaines valvulopathies sont évidentes et relativement aisées à identifier ; par contre il existe de nombreux pièges qui peuvent conduire à en méconnaître certaines, à les sous-estimer ou à les surestimer. Il ne s'agit nullement d'un examen complet qui conduit à un diagnostic sophistiqué et à des découvertes fortuites, mais de la recherche sommaire d'une pathologie majeure dont la présence ou l'absence change la thérapeutique immédiate du malade. De fait, celle-ci est modifiée dans 25-45% des cas et étayée en cas d'incertitude dans 37-82% des cas [5,8]; dans 22% des cas, la cause principale de l'hypotension est une défaillance droite [9].

Le nombre de vues de cet examen de dépistage est limité.
 
  • Vue parasternale long-axe;
  • Vue parasternale court-axe mi-ventriculaire;
  • Vue apicale 4-cavités;
  • Vue apicale 5-cavités;
  • Vue apicale 2-cavités;
  • Vue sous-xyphoïdienne 4-cavités;
  • Vue sous-xyphoïdienne de la VCI.
En principe, le Doppler couleur et le Doppler spectral ne font pas partie des données acquises dans ce cadre, bien que le premier puisse être utile pour confirmer la présence d'une insuffisance valvulaire sévère. Le diagnostic de l'ischémie aiguë et des valvulopathies est le plus difficile, même restreint à une alternative "présent/absent". Il relève déjà d'une formation avancée et doit conduire à une consultation cardiologique [1]. Tout élément suspect doit faire l'objet d'un examen conventionnel complémentaire par un cardiologue, ce qui arrive dans 20% des cas [5]. Le danger est double pour l'échocardiographeur: 1) il peut aisément outrepasser les limites de son examen ou de son savoir, et 2) il peut omettre de considérer comme anormales des images pathologiques qui sortent du domaine de sa formation limitée [21]. Malgré ces risques, l'examen représente un bénéfice significatif (cost-effectiveness), puisqu'il permet d'économiser plusieurs milliers de dollars par patient sur un collectif de polytraumatisés en facilitant les prises de décision thérapeutique rapide [11]

Le problème essentiel soulevé par l'extension de cet instrument cardiologique à des non-cardiologues est celui de la compétence des praticiens qui l'utilisent. Un examen simplifié n'est pas un examen bâclé. Même si sa portée est limitée, il doit être conduit de manière rigoureuse par un médecin adéquatement formé et bien conscient de ses limites. La formation fait précisément l'objet d'une section ultérieure (voir Formation des non-cardiologues).
 
 
Domaine de l'examen échocardiographie transthoracique simplifié
L'examen ETT simplifié (FoCUS: Focused Cardiac UltraSound) est orienté sur des questions précises, essentiellement qualitatif, exécuté par des non-cardiologues formés à cet effet, et comprend un nombre limité de vues:
    - Vue parasternale long-axe et court-axe
    - Vue apicale 4-cavités et 5-cavités
    - Vue sous-xyphoïdienne 4-cavités et veine cave inférieure
    
Le champ d'application de cette échocardiographie dirigée est restreint à des situations où l'écho peut répondre de manière binaire (présent/absent) à des questions soulevées par la prise en charge immédiate du patient:
    - Hypovolémie
    - Défaillance ventriculaire droite ou gauche
    - Syndrome coronarien aigu
    - Valvulopathie sévère
    - Tamponnade
    - Arrêt cardiaque


© CHASSOT PG, VUILLE C. Avril 2019; dernière mise à jour, Mars 2020


Références
 
  1. ADLER AC, GREELEY WJ, CONLIN F, et al. Perioperative anesthesiology ultrasonographic evaluation (PAUSE): A guided approach to perioperative bedside ultrasound. J Cardiothorac Vasc Anesth 2016; 30:521-9
  2. ANDERSEN G, HAUGEN BO, GRAVEN T, et al. Feasibility and reliability of point-of-care pocket-size echocardiography. Eur J Echocardiogr 2011; 12:665-70
  3. CHAMSI-PASHA MA, SENGUPTA PP, ZOGHBI WA. Handheld echocardiography. Current state and future perspectives. Circulation 2017; 136:2178-88
  4. COKER BJ, ZIMMERMAN JM. Why anesthesiologists must incorporate focused cardiac ultrasound into daily practice. Anesth Analg 2017; 124:761-5
  5. COWIE BS. Focused transthoracic echocardiography in the perioperative period. Anaesth Intensive Care 2010; 38:823-36
  6. EVANGELISTA A, GALUPPO V, MENDEZ J, et al. Hand-held cardiac ultrasound screening performed by family doctors with remote expert support interpretation. Heart 2016; 102:376-82
  7. FAGLEY RE, HANEY MF, BERAUD AS, et al. Critical care basic ultrasound learning goals for American Anesthesiology critical care trainees: Recommendations from an expert group. Anesth Analg 2015; 120:1041-53
  8. JENSEN MB, SLOTH E, LARSEN KM, SCHMIDT MB. Transthoracic echocardiography for cardiopulmonary monitoring in intensive care. Eur J Anaesthesiol 2004; 21:700-7
  9. KRATZ T, STEINFELDT T, EXNER M, et al. Impact of focused intraoperative transthoracic echocardiography by anesthesiologists on management in hemodynamically unstable high-risk noncardiac surgery patients. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:602-9
  10. LEVITOV A, FRANKEL HL, BLAIVAS M, et al. Guidelines for the appropriate use of bedside general and cardiac ultrasonography in the evaluation of critically ill patients – Part II: Cardiac ultrasonography. Critical Care Med 2016; 44:1206-27
  11. MELNIKER LA, LEIBNER E, McKENNEY MG et al. Randomized controlled clinical trial of point-of-care limited ultrasonography for trauma in the emergency department: the first sonography outcomes assessment program trial. Ann Emerg Med 2006; 48:227-35
  12. NAZERIAN P, MUELLER C, VANNI S, et al. Integration of transthoracic focused cardiac ultrasound in the diagnostic algorithm for suspected acute aortic syndrome. Eur Heart J 2019; 40:1952-60
  13. NESKOVIC A, EDVARDSEN T, GALDERISI M, et al. Focus cardiac ultrasound: the European Association of Cardiovascular Imaging viewpoint. Eur Heart J Cardiovasc Imaging 2014; 15:956-60
  14. NESKOVIC A, HAGENDORFF A, LANCELLOTTI P, et al. Emergency echocardiography: the European Association of CardioVascular Imaging recommendations. Eur Heart J Cardiovasc Imaging 2013; 14:1-11
  15. POPESCU BA, ANDRADE MJ, BADANO LP, et al. European Association of Echocardiography recommendations for training, competence, and quality improvement in echocardiography. Eur J Echocardiogr 2009; 10:893-905
  16. PRICE S, VIA G, SLOTH E, et al. Echocardiography practice, training and accreditation in the intensive care: document for the World Interactive Network Focused on Critical Ultrasound (WINFOCUS). Cardiovasc Ultrasound 2008; 6:49 (1-35)
  17. RAMSINGH D, FOX JC, WILSON WC. Perioperative point-of-care ultrasonography: An emerging technology to be embraced by anesthesiologists. Anesth Analg 2015; 120:990-2
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  19. SKJETNE K, GRAVEN T, HAUGEN BO, et al. Diagnostic influence of cardiovascular screening by pocket-size ultrasound in a cardiac unit. Eur J Echocardiogr 2011; 12:737-43
  20. SPENCER KT, KIMURA BJ,     KORCARZ CE, et al. Focused cardiac ultrasound: Recommendations from the American Society of Echocardiography. J Am Soc Echocardiogr 2013; 26:567-81
  21. VIA G, HUSSAIN A, WELLS M, et al. International evidence-based Recommendations for focused cardiac ultrasound. J Am Soc Echocardiogr 2014; 27:683.e1-e33
25. Echocardiographie transoesophagienne 1ère partie