Step 1 of 1

Historique

La circulation extra-corporelle (CEC) a déjà une longue histoire. L'idée d'une perfusion artificielle revient au physiologiste français Jean-Jacques Le Gallois qui avait, en 1812, perfusé la tête de lapins décapités pour prouver que la circulation du sang maintenait la fonction de l'organe. Le prototype de machine coeur-poumon avec contrôle de la température a été imaginé en 1884 par von Frey et Gruber, mais c'est Hooker, en 1915, qui a construit le précurseur des oxygénateurs à film: il s'agissait d'un disque de caoutchouc sur lequel le sang se répandait en un film oxygéné par contact direct avec un flux d'O2. Ces montages avaient peu de succès, car le sang coagulait très rapidement. En effet, il a fallu attendre la découverte de l'héparine en 1916 et celle de la protamine 20 ans plus tard pour que ce problème soit résolu [3]. Ce n'est qu'en 1937 que John Gibbon créa la première machine de CEC complète qui permette la survie d'animaux en laboratoire; l'oxygénateur était un écran à disques rotatifs. En 1953, cette machine permit de fermer avec succès une CIA chez une patiente de 18 ans au cours d'une CEC de 45 minutes [1]. Pour Gibbon, c'était l'aboutissement de 23 ans de recherche et de conceptions de circuits extracorporels. Il devint ainsi le "père de la CEC" et le premier perfusionniste de l'histoire. Au début, le chemin fut pavé de décès (1 survivant sur 16 essais), car les premiers circuits de CEC étaient encombrants et dangereux; ils demandaient un amorçage de plusieurs litres de sang, et fonctionnaient avec un oxygénateur fait de grands disques plongeant partiellement dans le sang et tournant dans une chambre pleine d'oxygène. Le tout était lavé et réutilisé pour un autre patient. Seuls les tuyaux étaient à usage unique. C'était le cas de la première machine lausannoise, celle de Livio-Mettraux, datant de 1962 (Figure 7.1A).
 

Figure 7.1 : Machines de CEC. Gauche: machine historique de Livio-Mettraux, Lausanne 1962. Droite: machine actuelle. A: console centrale avec commandes des pompes (boutons bleus). B: réservoir veineux. B1: oxygénateur. B2 : échangeur thermique (couplé à l’oxygénateur et au réservoir dans la machine moderne). C: pompes. D: monitorage; simple manomètre de pression à gauche, écrans de contrôle complexes à droite. E: mélangeur de gaz et vaporisateur. F: bac fournissant de l'eau à température variable pour l'échangeur thermique. G: circuit de cardioplégie. A plus de 50 ans d’écart, il est frappant de constater que le plan des deux machines est identique; les pompes n’ont pratiquement pas changé, mais l’oxygénateur s’est complètement transformé et le monitorage est devenu plus sophistiqué. D'autre part, toutes les parties en contact avec le sang sont maintenant à usage unique.
 
Le problème de l'oxygénateur restait lancinant, car les modèles à disques causaient d'innombrables ennuis et manquaient d'efficacité. Dès 1956, DeWall et Lillehei dessinèrent un système réalisable en plastic et consistant en une chambre où le sang était oxygéné par barbotage de bulles d'oxygène, surmontée d'une chambre de débullage remplie d'un agent anti-mousse et d'un réservoir hélicoïdal. De nouvelles entreprises se lancèrent dans la commercialisation de ces appareils: Bentley™, Travenol™, etc. Le premier appareil de ce type largement utilisé en Europe fut celui de Rygg et Kyvsgaard; c'était un sac de polyéthylène disposable contenant l'ensemble des éléments; il fut très répandu jusqu'à la fin des années soixante-dix parce qu'il était simple, efficace et bon marché (voir Figure 1.3) [2]. Mais l'oxygénateur à bulles restait une cause majeure d'embolie gazeuse; de plus, dès que la CEC dépassait une heure, le contact direct du sang avec l'air entraînait une dénaturation protéique et une activation du complément qui étaient la cause d'un syndrome inflammatoire systémique massif et très souvent d'un SDRA, que l'on appelait le pump lung. Comme les membranes de dialyse rénale étaient performantes, l'idée vint de les utiliser pour la diffusion de l'O2 sans que ce dernier soit en contact direct avec le sang. On utilisa des plaques d'éthyl-cellulose, de Teflon™ puis de silicone et de polypropylène, arrangées en couches ou en tubules; les modèles les plus récents sont en poly-méthyl-pentène. Bien que les problèmes de contact air-sang soient résolus, les oxygénateurs à membranes ont mis du temps à s'imposer à cause de leur complexité et de leur prix. Actuellement, leurs perfectionnements et leur facilité d'utilisation en font les seuls systèmes utilisés dans les machines de CEC; ils consistent en un bloc comprenant l'oxygénateur, le réservoir veineux et l'échangeur thermique (voir Figure 7.6).
 
A l'exception de la pompe, tous les éléments de la CEC sont maintenant à usage unique. Le circuit comprend également de nombreux systèmes de sécurité qui n'existaient pas sur les premiers modèles: moniteur de bulles, filtres artériels et veineux, monitorage de SaO2 et de SvO2, asservissement de la pompe au niveau du réservoir, etc. Les travaux actuels portent essentiellement sur l'amélioration de la biocompatibilité des surfaces de contact, sur la réduction de la réaction inflammatoire et sur la miniaturisation de tout le système. 
 
Malgré le développement de cursus universitaires pour la formation des perfusionistes, de certificats nationaux de compétence et de simulateurs réalistes, la conduite de la CEC est une discipline très artisanale où l'enseignement principal a lieu sur le terrain. Par ailleurs, il n'existe pas de recommandations de haut degré d'évidence concernant la perfusion artificielle, la gestion de la température ou la protection des organes [2]. Après 65 ans d'existence, la CEC reste un domaine de routines institutionnelles gouvernées par le principe de précaution et par les prescriptions des fabricants plutôt que par des données scientifiques et des études bien contrôlées. Aussi compliqués soient-ils, nos systèmes mécaniques de prise en charge des fonctions cardio-respiratoires restent très grossiers en comparaison de la subtilité des régulations physiologiques. Face à l'interdépendance infiniment complexe des différents facteurs en jeu, il est presqu'illusoire de vouloir chercher des corrélations simples entre la morbidité postopératoire et des données isolées comme la pression ou le débit de CEC. D'autre part, assurer la circulation et la respiration par une machine, aussi perfectionnée soit-elle, reste une situation totalement non-physiologique et représente donc un stress considérable pour l'organisme. C'est l'équivalent d'un séjour en milieu hostile, comme l'alpinisme en haute altitude ou la plongée sous-marine: l'organisme ne peut pas y survivre longtemps. Les conséquences en sont multiples: flambée inflammatoire, troubles de la coagulation, immunomodulation, perturbations hémodynamiques, altération des échanges gazeux, dysfonction polyorganique.

 
 
 Evolution de la technologie
La première CEC clinique date de 1953. A cette époque, l’oxygénateur était fait d’une série de disques rotatifs sur lesquels le sang était étalé en contact avec l’O2. Ce système a été remplacé par les oxygénateurs à bulles, et actuellement par les oxygénateurs à membrane. Tous les composants en contact avec le sang sont maintenant à usage unique (canules, tuyaux, réservoir, oxygénateur, échangeur thermique, filtres) et montés ensemble pour faciliter la manutention.

Malgré ses perfectionnements et son succès clinique quotidien, la CEC est un système non-physiologique qui entraine une réaction de stress considérable et une cascade de complications inflammatoires, coagulatoires et polyorganiques.


© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour Avril 2018

 
Références
 
  1. GIBBON JH. Application of the mechanical heart and lung apparatus to cardiac surgery. Minn Med 1954; 36:171-85
  2. HESSEL EA. History of cardiopulmonary bypass. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2015; 29:99-111
  3. STAMMERS AH. Historical aspects of cardiopulmonary bypass: From antiquity to acceptance. J Cardiothorac Vasc Anesth 1997; 11:266-74
 
07. La circulation extra-corporelle