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Coagulopathies

Les maladies hématologiques ne sont pas des raretés puisqu’elles ont une prévalence moyenne de 1% dans la population occidentale. La plus fréquente est la maladie de von Willebrand (1:200), suivie par l’hémophilie A (1:10’000) et l’hémophilie B (1:50’000). Les autres coagulopathies congénitales sont très rares et ont une fréquence approximative de 1:1 million [17]. Parmi les coagulopathies acquises, on mentionnera la thrombocytopénie, la déficience en vitamine K, le syndrome de von Willebrand acquis et la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). Pour davantage de détails sur la coagulation et l’anticoagulation, on se référera au Chapitre 8 (Coagulation). Les données pharmacologiques concernant les facteurs de coagulation figurent dans le Tableau 8.10.
 
Pour toutes les hémopathies, la prise en charge doit suivre certaines règles [18].
 
  • Les tests de coagulation standards (TP, aPTT, TT, etc) ont une très faible valeur prédictive pour le risque hémorragique chirurgical; l’anamnèse personnelle et familiale (saignements excessifs lors de soins dentaires ou de contusions, métrorragies, hémarthroses) a davantage d’impact. Seul le taux des facteurs individuels est corrélé au risque hémorragique.
  • A l’exception des formes bénignes, il est impératif de remplacer le(s) facteur(s) déficient(s) en périopératoire et d’opérer les patients dans un hôpital qui dispose d’un service d’hématologie compétent.
  • Il est préférable d’opérer les malades en début de journée et en début de semaine, afin de disposer de tout l’appui nécessaire de la part du laboratoire d’hématologie. Les échantillons de sang doivent être testés dans l’heure qui suit leur prélèvement et doivent être transportés sans secousses excessives (éviter les circuits pneumatiques).
  • Comme tous les facteurs s’administrent par voie intraveineuse, une voie centrale est souvent requise. 
  • L’administration d’acide tranexamique (1 g) à l’induction est un appoint utile. L’aspirine et les AINS sont à éviter dans le postopératoire; on préférera le paracétamol et les opioïdes.
Hémophilie
 
Maladie congénitale affectant uniquement les hommes, l'hémophilie est subdivisée en trois entités qui peuvent chacune se présenter sous forme sévère ou bénigne. La gravité des symptômes est proportionnelle à la baisse du taux des facteurs. L’aPTT est prolongé.
 
  • Hémophilie A: déficit en Facteur VIII.
    • Forme sévère : taux < 1% ; forme bénigne : taux 5-10% ;
    • Hémostase normale si taux ≥ 50% ;
    • Demi-vie du facteur VIII: 8-12 heures ;
    • Jusqu’à 25% des patients traités avec du FVIII développent des allo-anticorps anti-FVIII qui rendent son remplacement inefficace ;
    • Le FVIII est un élément de la réaction de stress (acute phase reaction) et augmente physiologiquement en postopératoire.
  • Hémophilie B (Christmas disease): déficit en Facteur IX. 
    • Demi-vie du facteur IX : 24 heures ;
    • Le FIX n’est pas un élément de la réaction de stress et n’augmente pas en postopératoire.
  • Hémophilie C (maladie de Rosenthal) : déficience en facteur XI.
Il est recommandé de perfuser 50 U/kg du facteur déficitaire 20-60 minutes avant l'opération (Facteur VIII : Factane®, Facteur IX : Betafact®), et de déterminer le taux circulant avant la CEC afin de compléter les besoins par addition au liquide d'amorçage. Les Facteurs VIII et IX doivent être maintenus à un taux de 80-100% pendant l’opération et pendant les trois premiers jours, puis à un taux de 60-80% pendant les jours 4 à 6, et à > 50% au-delà [18]. Un taux de ≥ 75% de FVIII et de ≥ 50% de FIX assure une hémostase satisfaisante à long terme. On dispose maintenant de produits recombinants (Advate®, Benefix®) ayant éliminé les dérivés sanguins.
 
Dans les formes bénignes d’hémophilie A, la vasopressine (DDAVP 0.3 mcg/kg iv en 30 minutes) augmente le taux de FVIII 2 à 3 fois ; elle est sans effet sur le FIX [18,24]. Il est en général plus délicat de compenser l'hémophilie B, parce que le Facteur IX a une distribution à la fois intra- et extra-vasculaire (le Facteur VIII reste strictement intravasculaire) et parce qu'il n'en existe pas de préparation issue d'un seul donneur; la valeur plasmatique du Facteur IX ne varie pas proportionnellement avec les perfusions. 
 
Chez les patients qui souffrent de la présence d’inhibiteurs des facteurs VIII et IX, la perfusion de facteurs est inefficace et doit être remplacée par d’autres techniques.
 
  • Le Facteur rVIIa (NovoSeven®) agit en court-circuitant les facteurs VIII et IX : il stimule directement l’activation du facteur X en facteur X activé (Xa) et provoque une production massive de thrombine ; le dosage recommandé est de 90 mcg/kg en préopératoire, à répéter toutes les 2 heures si nécessaire.
  • Le FEIBA® (factor eight inhibitor bypassing  agent) contient les facteurs II, VII, IX et X en partie sous forme activée ; dosage : 70 UI/kg toutes les 8 heures.
  • L'administration de desmopressine (1-desamino-8-D-arginine-vasopressine) à raison de 0.3 mcg/kg [24].
  • La plasmaphérèse: échange transfusionnel du plama du patient contre du PFC; on peut administrer jusqu'à 15 unités de PFC sans risque de surcharge [21] ; utile seulement si l’on ne dispose pas des autres possibilités.
Ces techniques ne peuvent être efficace que si quatre éléments sont contrôlés.
 
  • Taux de plaquettes > 70’000/mcL ;
  • Calcémie > 1 μmol/L ;
  • Fibrinogénémie ≥ 2 g/L ;
  • Hémoglobine ≥ 80 g/L.
Maladie de von Willebrand
 
La maladie de von Willebrand, caractérisée par une anomalie du facteur du même nom, se révèle par un allongement du temps de coagulation et du TPT (aPTT). Sa prévalence est de 0.6-1.3% mais seule 1 personne sur 10'000 en souffre cliniquement [16]. Le facteur von Willebrand (FvW) est produit par les cellules endothéliales et les mégakaryocytes, puis stocké dans l’endothélium, les plaquettes et le tissu conjonctif sous-endothélial. Associé au Facteur VIII, il lie la plaquette au sous-endothélium lorsqu’il y a rupture de la couche cellulaire endothéliale (voir Figure 8.5). Son taux sérique normal est de 50-150 UI/dL [16]. Cliniquement, les patients présentent une tendance avérée aux hémorragies hémorragies (ecchymoses, hémarthroses, hématomes excessifs, métrorragies, hémorragie digestive, etc) qui peut conduire à l'anémie. Les saignements sont profus en cas de traitement anticoagulant. Il existe plusieurs formes de la maladie [8].
 
  • Type I : déficit quantitatif partiel, le plus fréquent (75% des cas) ; le taux de FvW est 10-40% ;
  • Type II : déficit qualitatif, défaut fonctionnel de la molécule ;
    • 2A : défaut de FvW lié aux plaquettes ;
    • 2B : affinité exagérée du FvW pour les récepteur GP Ib plaquettaires ;
    • 2N : affinité réduite du FvW pour le FVIII ;
  • Type III : absence totale du facteur, très rare ; le taux est < 10% ; le FVIII est également abaissé (< 20%). 
A la forme congénitale s’ajoute une forme acquise apparaissant dans certaines affections produisant un inhibiteur du FvW (maladies auto-immunes, certaines néoplasies notamment lymphoprolifératives), occasionnant une consommation du facteur dans certaines localisations de stress hémodynamique (sténose aortique sévère, assistance ventriculaire), ou allant avec certaines perfusions (hydroxyéthyl amidons, HES). Il est communément dénommé syndrome de Heyde. Le diagnostic différentiel se fait par un test aPTT-Mix : le plasma du patient est mélangé à parts égales avec du plasma normal ; le test se normalise si le malade est déficient en FvW alors qu’il reste prolongé en présence d’un inhibiteur.

Le diagnostic de maladie de von Willebrand est posé sur un ensemble de données [8].
 
  • aPTT allongé;
  • TP et plaquettes: sp;
  • Taux plasmatique abaissé (FvW:Ag < 30 UI/dL);
  • Fixation aux plaquettes diminuée (activité ristocétine FvW:RCo);
  • Taux de facteur VIII diminué (FVIII/FvW:Ag > 0.6).
Le traitement consiste en plusieurs points [5,8,16,18].
 
  • Concentré de FvW avec Facteur VIII (Haemate®, Wilate®, Wilfact®) ; dosage périopératoire en cas de maladie de types II et III : 30 UI/kg préop, 20-30 UI/kg en cours de chirurgie, 20-30 UI/kg 3 x/j pendant 5 jours ; 1 UI/kg élève le taux de facteur circulant de 1.5 UI/dL. La demi-vie du produit est de 14-17 heures ; contrôler les taux circulants. Le taux peropératoire requis est de 100% pour les opérations majeures et l’obstétrique, et de 60% pour les interventions mineures et la dentisterie. En-dehors de la chirurgie, un taux de 50% assure une hémostase normale. Le taux maximal ne doit pas dépasser 200 UI/dL pour le FvW et 300 UI/dL pour le FVIII à cause du risque de thrombose.
  • Desmopressine (Octostim®, Minirin®, 0.3 mcg/kg iv en 30 min, 0.5 mcg/kg sous-cutané, 300 mcg par spray nasal) ; elle stimule la production de FvW par l’endothélium ; elle est le traitement de choix dans la maladie de type I ; le type III ne répond pas à la desmopressine. L’administration simultanée d’acide tranexamique est recommandée parce que la desmopressine stimule la fibrinolyse.
  • Plasma frais congelé : inutile car cette source est insuffisante.
  • Traitement supplémentaire dans la maladie de von Willebrand acquise :
    • Traitement étiologique de la maladie de base (résection de néoplasie, RVA pour sténose aortique, décanulation d'ECMO) ;
    • Immunoglobuline 2g/kg (effet après 12-72 heures).
Dans le cas particulier de la sténose valvulaire, la maladie de von Willebrand acquise est de type 2A et touche plus de 25% des patients avec une sténose aortique serrée de type rhumatismal. Ces malades ne présentent pas de risque hémorragique accru lors du remplacement valvulaire en CEC. D’autre part, le RVA rétablit l’intégralité fonctionnelle du FvW et supprime les symptômes hémorragiques spontanés [10].
 
Hypofibrinogénémie
 
L’hypofibrinogénémie congénitale est rare, mais le fibrinogène est le premier facteur dont le taux chute en cas d’hémorragie massive. L’hypofibrinogénémie est caractérisée par un prolongement de l’aPTT, du TP et du temps de thrombine. La demi-vie du fibrinogène est de 90 heures. Le taux requis en peropératoire pour assurer une hémostase satisfaisante est de 2.0 g/L. La fermeté optimale du caillot est obtenue avec des taux de 3-4 g/L.
 
Déficiences acquises en facteurs de coagulation
 
Des auto-anticorps contre les facteurs de coagulation peuvent se développer dans de nombreuses circonstances, telles le péripartum ou les néoplasme lymphoprolifératifs. L’inhibition du Facteur VIII induit une hémophilie acquise, traitée par immunosuppression (rituximab, cyclophosphamide), rFVIIa ou FEIBA (voir Chapitre 8 Facteurs de coagulation). On rencontre aussi des inhibitions du facteur V ou du facteur XIII.
 
Thrombocytopénie
 
D’innombrables causes peuvent engendrer une thrombocytopénie : néoplasie médullaire, alcoolisme aigu, hépatopathie chronique, infections, médicaments (IMAO), chimiothérapie, HIV. La thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT) est un cas particulier traité au Chapitre 8 (voir HIT). Les hémorragies spontanées surviennent lorsque le taux plaquettaire est < 10-20 G/L [5]. Le taux requis pour la chirurgie est > 50 G/L. Le traitement consiste en transfusion de plaquettes, glucocorticoïde (1 mg/kg/j), immunogloguline (2 g/kg pendant 2 à 5 jours) et desmopressine (0.3 mcg/kg en 30 min).
 
La thrombasthénie de Glanzmann est une déficience congénitale en récepteur GP IIb/IIIa sur les plaquettes entraînant un défaut d’agrégation par le fibrinogène. La maladie de Bernard Soulier est un défaut du récepteur GP Ib/V/IX sur lequel se fixe le FvW pour immobiliser la plaquette sur la paroi vasculaire lésée. Le traitement le plus efficace est la transfusion plaquettaire HLA-compatible ; le rFVIIa peut être indiqué.
 
Déficience en Antithrombine III
 
L'Antithrombine III (AT III) est une α2- globuline qui se lie de manière irréversible à la thrombine et en neutralise l'effet. L'héparine agit comme un catalyseur de cette réaction (voir Chapitre 8, Anti-thrombine indirects). Si le taux d'AT III est trop bas, l'anticoagulation de l'héparine est peu efficace: après héparinisation complète (400 U/kg), le temps de coagulation mesuré par l'ACT reste inférieur à 400 sec. C'est une situation de résistance à l'héparine, dont les étiologies sont nombreuses (endocardite, contraceptifs oraux, CIVD, streptokinase, héparino-thérapie, déficience en AT III, grossesse). La cause la plus fréquente est un épuisement des réserves par une anticoagulation en cours (perfusion de Liquémine® de plusieurs jours) : la chute de l’AT III est de 5-10% par jour de traitement. 
 
La prise en charge est basée sur trois éléments [13].
 
  • Augmentation des doses d’héparine. Toutefois, il existe un effet-plafond : l’anticoagulation ne s’approfondit plus lorsque l’héparinémie est > 4 U/mL.
  • Plasma frais décongelé. Le PFC contient environ 1 U d’AT III par mL. Deux poches de PFC suffisent rarement à compenser le manque en AT III. D’autre part, le PFC présente tous les risques liés aux transfusions d’éléments sanguins et fait souvent courir le danger d’une hypervolémie.
  • Concentré d’antithrombine, sous forme humaine purifiée ou recombinante (synthétisée dans du lait de chèvre génétiquement modifiée). La demi-vie du produit est respectivement de 12 heures et de 3.8 jours. La dose recommandée est 500-1'000 UI pour un adulte, ce qui est relativement modeste, car il faut jusqu’à 45 U/kg pour maintenir un taux d’ATIII normal. Le coût de ce traitement est de CHF 1’200-2’500.-, mais il est efficace, alors que le PFC ne l’est pas.
L’attitude la plus logique est de doser l’AT III et de ne donner du concentré d’antithrombine que lorsque le taux est bas ; s’il est normal, une augmentation du dosage d’héparine suffit le plus souvent [13].
 
Hémoglobinopathies
 
Les hémoglobinopathies sont des affections rencontrées de moins en moins rarement chez l'adulte, vu les progrès établis dans la prise en charge des enfants atteints des formes graves [11]. Ce sont des maladies autosomales récessives caractérisées par des défauts dans la structure moléculaire de l'hémoglobine [12].
 
  • Anémie falciforme :
    • Forme hétérozygote (< 50% d'Hb S);
    • Forme homozygote (70-90% d'Hb S).
  • Thalassémie
    • Alpha: 1-2 allèles non-fonctionnels (paucisymptomatique) ou 3 allèles non-fonctionnels (maladie de l'Hb H);
    • Béta: production de chaîne béta diminuée (thalassémie mineure) ou absente (thalassémie majeure).
Les Hb anormales ont une plus faible capacité à libérer l'O2 en périphérie. Ces affections ont une certaine valeur adaptative puisqu'elles apportent une résistance accrue à l'infection par le Plasmodium falciparum de la malaria. 
 
Drépanocytose (anémie falciforme, sickle cell disease)
 
C'est une anémie hémolytique qui touche 5% de la population mondiale (300'000 naissances d'homozygotes par an), survenant essentiellement en Afrique subsaharienne, dans le bassin méditerranéen, au Moyen-Orient et en Inde [20]. Caractérisée par des hématies en forme de faucille, est due à l'expression du gène de l'HbS hérité à l'état homozygote. La falciformation est un changement de forme réversible des globules rouges (GR) liée à la polymérisation de l'HbS qui survient lorsque la PO2  baisse (saturation < 85%) ou que le pH diminue: hypovolémie, déshydratation, hypothermie, bas débit, stase, hypoxie, acidose, infection, stress. Mais les déformations répétées fragilisent les érythrocytes, provoquant une hémolyse. D'autre part, les GR falciformés tendent à adhérer à l'endothélium vasculaire, conduisant à des occlusions microvasculaires [22]. L'hémolyse met l'Hb en contact avec le NO dans les poumons; celle-ci en provoque la déplétion, ce qui entraîne une tendance à l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), présente dans 20-30% des cas [23]. La maladie se manifeste cliniquement par des occlusions vasculaires multiorganiques (AVC, rétinopathie, hyposplénisme) souvent douloureuses,, une hypertension pulmonaire, une insuffisance ventriculaire secondaire aux thromboses coronaires et un risque accru d'endocardite et d'AVC [20]. Lors d'une CEC, le principal danger est des occlusions vasculaires disséminées. 
 
La mortalité s'élève jusqu'à 90% chez les enfants de moins de 5 ans dans les pays défavorisés, alors qu'elle est négligeable dans les pays industrialisés lorsque toute la panoplie thérapeutique peut être déployée [14]. Le traitement principal est l'hydroxyurée, accompagnée d'une prophylaxie antibiotique à base de pénicilline. La transplantation de cellules-souche hématopoïétique est potentiellement curative, mais ce traitement est limité par son coût, ses risques et le manque de donneurs [20]. La transfusion d'échange est un élément important dans la prise en charge de ces patients, bien que le degré d'évidence de la technique soit faible. Elle a pour but de diminuer le taux d'Hb S, d'augmenter celui d'Hb A normale, et d'améliorer le transport d'O2. C'est un aspect important de la préparation préopératoire: un taux d'Hb S < 10% et un taux d'Hb A de 100 g/L sont acceptables pour une CEC [2].
 
La technique d'anesthésie est dominée par les contraintes hématologiques [12].
 
  • Maintenir une PO2 et une saturation élevées (SvO2 > 80% en CEC), éviter l'hypoxie;
  • Maintenir un transport d'O2 satisfaisant et réduire l'Hb S (transfusion);
  • Maintenir un débit cardiaque élevé; éviter les bas débits locaux (hypotension);
  • Maintenir ou induire une vasodilatation, éviter toute vasoconstriction;
  • Maintenir le volume intravasculaire (hydratation) et une faible viscosité (cristalloïdes);
  • Maintenir la normothermie (le froid provoque une précipitation des hématie);
  • Eviter l'acidose.
Comme la solubilité de l'HbS désaturée augmente lorsque la température baisse, le risque de falciformation est faible en CEC, pour autant que la viscosité reste normale, que la perfusion périphérique et l'oxygénation soient adéquates, et que l'acidose soit absente. 
 
Thalassémie
 
Dans la thalassémie majeure et mineure, les chaînes alpha sont produites en surnombre, alors que dans la thalassémie alpha, ce sont les chaîne béta qui sont en excès. Dans les deux cas, l'Hb tend à précipiter à l'intérieur des érythrocytes [12]. Les formes majeures de thalassémie sont caractérisées par une insuffisance cardiaque à haut débit, une augmentation du volume circulant et une anémie hémolytique sévère, requerrant en général des transfusions. L'intoxication au fer (hémochromatose) est classique à cause des transfusions répétées, et contribue à la défaillance ventriculaire [1]. L'hyperplasie de la moëlle osseuse donne lieu à des déformations du squelette facial et vertébral pouvant rendre l'intubation difficile. Dans les formes sévères, le patient se présente avec le tableau clinique d'une anémie, d'une cardiomyopathie et d'une dysfonction hépatique. Ces patients sont extrêmement sensibles à la digitale. 
 
Lors d'une CEC, le principal danger est une hémolyse aiguë et massive. D'autre part, l'Hb H de la thalassémie alpha est une molécule instable qui précipite à une température de 4°C.
 
Hémoglobinopathies et chirurgie cardiaque
 
Anémie falciforme et thalassémie présentent pratiquement les mêmes contraintes pour la chirurgie cardiaque. La mortalité opératoire se situe à 10-13% des cas. Bien qu'il n'existe par de recommandations officielles, on peut exprimer un certain nombre de suggestions pour minimiser les risques lors d'une CEC [12].
 
  • Amorçage du circuit de CEC avec du sang;
  • Utiliser le circuit de CEC pour une transfusion d'échange avant de partir en pompe dans les cas d'anémie falciforme grave; 
  • Utiliser de préférence des pompes centrifuges, moins hémolysantes que les pompes à galet;
  • Limiter la force des aspirations et éviter l'utilisation de Cellsaver™;
  • Faire précéder la cardioplégie froide d'une cardioplégie cristalloïde chaude pour évacuer le sang du malade des coronaires;
  • Maintenir l'hémodynamique: PAM ≥ 70 mmHg, débit de pompe environ 3.0-3.5 L/min/m2;
  • Maintenir une excellente oxygénation (SvO2 ≥ 80%) et un pH de 7.35-7.44;
  • Eviter l'hypothermie (T° > 34°C en CEC);
  • Seuil de transfusion à 100 g/L.
Un des problèmes majeurs des hémoglobinopathies est leur tendance à une hypercoagulabilité, qui impose une surveillance continue de l'anticoagulation (ACT > 450 sec, INR 3.0-3.5), voir l'addition d'antiplaquettaires; en chirurgie valvulaire, on préfère en général les bioprothèses aux valves mécaniques [1,3]. Dans la mesure du possible, des opérations à cœur battant (OPCAB, TAVI) sont probablement préférables car elles évitent de multiples problèmes liés à la CEC, mais le maintien de l'hyperdynamisme peut être ardu lorsqu'on ne dispose pas du soutien d'une pompe externe [15].
 
Agglutinines froides
 
Les agglutinines froides sont des anticorps IgM dirigés contre des antigènes anti-I présents sur la membranne des globules rouges. Très fréquentes, elles causent une agglutination de ces derniers seulement à basse température (0-4°C). A côté de cette variante bénigne existe une maladie cryo-hémagglutininémique dans laquelle ces agglutinines sont actives à des températures que l'on rencontre dans la circulation périphérique; cette maladie est caractérisée cliniquement par des thromboses dans les extrémités au froid [6]. Cette affection est une maladie idiopathique autoimmune, parfois la séquelle d'un processus infectieux ou lymphoprolifératif; sa prévalence est faible dans la population générale (1:20'000-1:50'000) [7]. La présence d'un taux significatif d'agglutinines froides, asymptomatique dans la vie quotidienne, peut se manifester par une hémolyse et des occlusions vasculaires périphériques, myocardiques, hépatiques et rénales lors de l'hypothermie d'une CEC (< 32°C). Au réchauffement, ces aggrégats provoquent des thrombi microvasculaires et sont hémolysés, ce qui dégage une grande quantité d'hémoglobine libre [6].
 
Les agglutinines froides sont détectées au test de Coomb direct (présence de complément sur les GR du patient) et indirect (présence d’anticorps sériques). Leur signification clinique tient à leur taux sérique et à la valeur de la température à laquelle elles sont activées. Les valeurs considérées comme sûres pour la CEC sont un titre inférieur à 1:32 à une température de 4°C, sans agglutination détectable à 28°C ou au-dessus [4]. Les probabilités de complications peropératoires deviennent significatives pour des taux supérieurs à 1:512 à 4°C, ou à 1:128 à 25°C [9]. 
 
En salle d'opération, on prend une série de précautions en présence d'agglutinines froides à taux élevé [6,19].
 
  • Réduction des taux circulants par plasmaphérèse préopératoire si nécessaire ;
  • Chirurgie en normothermie (CEC > 34°C) ou à cœur battant ;
  • Réchauffement de la salle d’opération et des perfusions ; 
  • Cardioplégie chaude (> 34°C) cristalloïde ou au sang ;
  • Réchauffer les poches de sang en cas de transfusion ;
  • En cas de crise avec hémolyse :
    • Réchauffer à 37°C ;
    • Améliorer la perfusion périphérique avec un vasodilatateur (nitroprussiate) ;
    • Alcaliniser les urines (50-100 mmoles bicarbonate de Na+) ;
    • Méthylprednisolone (500 mg) : efficacité discutée.
Moyennant ces précautions, les malades porteurs d'agglutinines froides peuvent être opérés en CEC sans agravation de la morbi-mortalité.
 
 
 
Maladies hématologiques
Les hémopathies congénitales sont rares, à l’exception de la maladie de von Willebrand et de l’hémophilie. Le risque hémorragique est lié au taux de facteur insuffisant, mais non aux examens de laboratoire standards (TT, TP, aPTT). A l’exception des formes bénignes, les facteurs déficients doivent être remplacés individuellement en périopératoire. La substitution n’est efficace que si quatre conditions sont remplies: plaquettes > 70’000/mcL, calcémie > 1 mmol/L, fibrinogénémie ≥ 2 g/L, hémoglobine ≥ 80 g/L. L’administration d’acide tranexamique (1 g) à l’induction est un appoint utile. L’aspirine et les AINS sont à éviter dans le postopératoire; prévoir paracétamol ou opioïdes.
 
Hémoglobinopathies: drépanocytose (anémie falciforme) et thalassémie. Précautions opératoires:
    - Amorçage de la CEC avec du sang
    - Pompes centrifuges, faible puissance dans les aspirations, pas de Cellsaver
    - Maintenir PAM ≥ 70 mmHg, débit de pompe environ 3.0-3.5 L/min/m2
    - Maintenir excellente oxygénation (SvO2 ≥ 80%) et pH de 7.35-7.44
    - Eviter l'hypothermie
    - Seuil de transfusion à 100 g/L
 
Agglutinines froides: 
    - Forme bénigne précipitant à basse température (0-4°C)
    - Forme clinique: taux élevé d'agglutinines précipitant à la température de la circulation périphérique
Précautions: pas d'hypothermie, réchauffement des perfusats, cardioplégie chaude


© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2019
 

Références
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