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Eléments d'électrophysiologie

Comme la quasi-totalité des agents anti-arythmiques agit par l'intermédiaire des canaux ioniques ou des récepteurs adrénergiques de la membrane cellulaire, il est logique de commencer par exposer, de manière simplifiée, les mécanismes de l'excitation électrique des cellules myocardiques.  
 
Le potentiel d'action d'une cellule cardiaque représente l'évolution temporelle du potentiel électrique transmembranaire pendant un cycle cardiaque. L'ECG de surface est la résultante de la somme instantanée de tous les potentiels d'action de la masse  du cœur (Figure 20.1). 
 

Figure 20.1 : Les cinq phases du potentiel d'action d'une cellule ventriculaire et la correspondance avec l'ECG de surface. I: courant d'action des différents canaux; influx et efflux s'entendent par rapport au sarcoplasme cellulaire. 
 
Les cinq phases de ce potentiel sont liées aux variations des courants ioniques (I) qui traversent la membrane cellulaire par des pores constitués de protéines spécifiques qui fonctionnent comme des canaux et qui laissent passer sélectivement les ions Na+, K+ ou Ca2+ (INa, IK, ICa) [7,9].
 
  • Phase 0: dans les cellules myocardiques des oreillettes et des ventricules, la dépolarisation brusque de la membrane est due à une ouverture des canaux sodiques et à un afflux de Na+ vers l'intérieur de la cellule (INa). Dans le noeud du sinus et dans le noeud atrio-ventriculaire, au contraire, la dépolarisation est liée à l'ouverture des canaux calciques (ICa).
  • Phase 1: le début de la repolarisation est démarré par la fermeture des canaux Na+ ou Ca2+, et l'ouverture partielle des canaux potassiques (It0).
  • Phase 2: le plateau de la repolarisation est une phase d'équilibre électrique presque complet entre l'influx de Na+ et de Ca2+ qui rentrent dans la cellule et l'efflux, légèrement plus élevé, de K+ qui en sort.
  • Phase 3: la repolarisation est terminée par la fermeture des canaux Na+ et Ca2+ et l'ouverture des canaux potassiques qui assurent un efflux massif de K+.
  • Phase 4: les cellules myocardiques des oreillettes et des ventricules restent normalement hyperpolarisées à cause d'une perméabilité prépondérante de la membrane pour le K+ associée à des potentiels négatifs (IK1). A ce potentiel diastolique contribue aussi le courant de sortie généré par la pompe Na/K dépendant de l'ATP, même si c'est dans une moindre mesure. Le potentiel diastolique de la membrane myocardique est d'environ -70 dans le ventricule. Dans le noeud sinusal et le noeud atrio-ventriculaire (AV), le courant IK1 est absent, le potentiel diastolique n'est que de -50 mV et il n'est pas stable: les cellules se dépolarisent spontanément jusqu'à – 30 mV, seuil d'activation des canaux calciques ICaL qui initient le potentiel d'action (courant de calcium et non pas de sodium). La dépolarisation spontanée diastolique est le résultat des courants d'entrée ICa, INCX et If; INCX est le courant d'entrée de Na+ associé à la sortie de Ca++ de la cellule (échangeur Na/Ca). Le canal pacemaker (If) est un canal à perméabilité mixte pour le Na+ et le K+, qui a la particularité de n'être actif que lorsque la cellule est à son potentiel le plus négatif.
Les hormones sexuelles ont une influence sur le comportement électrique des cellules cardiaques. Les femmes ont des courants de repolarisation plus faibles que ceux des hommes, une durée prolongée du potentiel d'action, donc un intervalle intervalle QT plus long et une fréquence de base plus élevée [3]. Ces notions d'électrophysiologie expliquent les effets cliniques des différents agents anti-arythmiques. Ceux-ci sont classés habituellement selon la nomenclature de Vaughan-Williams (Tableau 20.1) [10]. Cette classification est souvent considérée comme dépassée, car un médicament peut avoir plusieurs actions propres qui appartiennent à des classes différentes selon Vaughan-Williams. L'amiodarone, par exemple, a des effets de classe III mais aussi de classes Ia et IV; la flécaïnide a des effets de classes Ic et III. Toutefois, cette classification reste utile pour le clinicien, car elle définit les effets correspondant à une activité particulière des canaux transmembranaires ou des récepteurs.
 
  • Classe I: blocage des canaux Na+.
    • 1a: dissociation à cinétique intermédiaire, bloc modérément dépendant de la fréquence, état réfractaire post-repolarisation modéré (quinidine, procaïnamide).
    • 1b: dissociation rapide, bloc indépendant de la fréquence, pas d'état réfractaire post-repolarisation; les substances de cette classse (lidocaïne, mexilétine, phénytoïne) peuvent accélérer la repolarisation si le courant de Na+ pendant celle-ci est anormalement augmenté comme dans le syndrome du QT long.
    • 1c: dissociation lente, bloc fortement dépendant de la fréquence, état réfractaire post-repolarisation prononcé (flécaïnide).
  • Classe II: blocage des β-récepteurs (β-bloqueurs).
  • Classe III: blocage des canaux K+.
    • Blocage additionnel des β-récepteurs (sotalol).
    • Blocage additionnel modéré des canaux Na+ et Ca2+ (bretylium, amiodarone).
  • Classe IV: blocage des canaux Ca2+ (verapamil, diltiazem).

Ces données peuvent être corroborées par l'action des agents pharmacologiques sur les différentes phases du potentiel d'action et sur l'ECG (Figure 20.2).
 

Figure 20.2 : Les effets des différentes classes d'agents anti-arythmiques sur le potentiel d'action et leur répercussion sur l'ECG de surface. 
 
  • Blocage des canaux Na+ (classe I): prolongation QRS.
  • Blocage des canaux K+ (classe III et 1A): allongement QT.
  • Blocage des canaux Ca2+ (class IV) et des récepteurs β: allongement PR et diminution de la fréquence sinusale.
  • Phase 0: le blocage des canaux Na+ par les agents de la classe I freine la pente de la dépolarisation et ralentit la conduction dans la cellule myocardique; le QRS est prolongé. Comme la dépolarisation dans le noeud du sinus et le noeud AV dépend des canaux Ca2+ et non Na+, les substances de la classe IV, qui bloquent les canaux Ca2+, prolongent le PR, ralentissent la conduction et diminuent la fréquence dans le noeud du sinus et le noeud AV.
  • Phase 2: les agents de la classe IV bloquent les canaux Ca2+; ils prolongent le PR mais n'ont pas d'effet sur le QRS ni sur le QT.
  • Phase 3: le blocage des canaux K+ par les agents de la classe 1A et de la classe III prolonge la repolarisation; le QT est allongé. 
  • Phase 4: le blocage des β-récepteurs diminue la pente de la dépolarisation spontanée et ralentit la fréquence sinusale et la conduction AV; le délai PR est allongé, mais il n'y a pas d'effet sur le QRS ni sur le QT. 
Quelques nouvelles substances ne figurent pas dans la classification de Vaughan-Williams.
 
  • L'adénosine (Krenosin®, Milupa Aptamil®). Ce médicament inhibe l'adénylate-cyclase et partage certaines propriétés de l'acétylcholine; il induit aussi la production de NO et a donc un effet vasodilatateur. L'activation du récepteur A1-adénosine déclenche un courant de K+ (IKado ou IKAch) qui hyperpolarise le potentiel diastolique et raccourcit le potentiel d'action dans les cellules atriales. Les cellules ventriculaires n'exprimant pas le canal IKAch, l'adénosine y reste sans effet. Dans les cellules du noeud sinusal et du noeud AV, l'activation IKAch cause une réduction de la fréquence pacemaker et inhibe la conduction AV [1].
  • L’ivabradine (Procoralan®) bloque le canal If et freine la dépolarisation spontanée du nœud du sinus sans interférence avec la modulation de la fréquence due au système nerveux autonome. Elle est recommandée chez l’insuffisant ventriculaire si une tachycardie sinusale > 75 batt/min persiste malgré le béta-blocage. C'est une substance de deuxième rang qui s'adresse premièrement aux insuffisants cardiaques résistants ou intolérants aux béta-bloqueurs, qu'elle ne remplace pas de routine [5]. Elle est sans effet sur la contractilité, le débit cardiaque, les résistances artérielles et la fonction diastolique. Son efficacité a étendu son indication aux tachycardies sus-jonctionnelles dans les cas où les béta-bloqueurs sont contre-indiqués ou lorsque l'hypotension qu'induisent ces derniers serait dangereuse.
  • Le vernakalant (Brinavess®) est la première substance avec effet de classe I et III à sélectivité auriculaire qui soit efficace après chirurgie cardiaque; elle est apparemment très sûre. Elle est actuellement le médicament le plus efficace, avec un taux de conversion de FA en rythme sinusal de 52% à 90 minutes, alors que l'amiodarone n'a qu'un taux de 5% à ce délai [2].
Pour remplacer la classification de Vaughan-Williams, un groupe de travail de la Société Européenne de Cardiologie a proposé une approche basée sur l'action des substances sur les mécanismes arythmogènes appelée le Gambit sicilien. Le gambit est le nom d'une ouverture classique aux échecs; il est sicilien parce que c'est à Taormina que se sont réunis les cardiologues qui l'ont proposé [6,8]. Cette classification assez complexe a l'avantage de définir le paramètre vulnérable qui est le plus accessible à l'effet du médicament. Elle n'est que mentionnée ici (Figure 20.3).
 

Figure 20.3 : Classification des antiarythmiques selon le Gambit sicilien [8]. 
 
Le système de conduction consiste en cellules spécialisées qui initient et transportent l'influx électrique à travers le myocarde (Figures 20.4A et 20.4B). 
 

Figure 20.4A : Le système de conduction intracardiaque. Le nœud du sinus est vascularisé par la coronaire droite (CD) (60% des cas) ou la circonflexe (40% des cas). Le faisceau de His traverse le septum interventriculaire membraneux (il passe au bord inférieur des CIV) ; il est vascularisé par la CD et par une branche de l’interventriculaire antérieure (IVA). 
 

Figure 20.4B : Le nœud atrio-ventriculaire (AVN) est situé dans le triangle de Koch, délimité par le tendon de Todaro du côté auriculaire, par l’anneau tricuspidien du côté apical et par une ligne allant du sinus coronaire à l’anneau tricuspidien du côté septal ; il est vascularisé par la CD dans 90% des cas. AAG : appendice auriculaire gauche. FO : fosse ovale. CS : sinus coronaire. A, P, S : feuillets antérieur, postérieur et septal de la valve tricuspide. 
 
Le point de départ est le noeud du sinus, situé dans le sillon entre la veine cave supérieure et l'appendice auriculaire droit; il est vascularisé par une branche de la coronaire droite, parfois de la circonflexe. Deux faisceaux de conduction rejoignent le noeud AV: une série de fibres antéro-supérieures, à conduction rapide, et une série inféro-postérieure à conduction lente; le faisceau de Bachmann conduit l'influx de l'OD vers l'OG [4]. Le noeud AV est une structure ovale, allongée sur la crête musculaire située entre l'OD et le VG, juste au-dessus de l'insertion du feuillet septal de la valve tricuspide; il est vascularisé dans 90% des cas par la coronaire droite. Le faisceau de His passe dans le septum interventriculaire postérieurement au septum membraneux; il est vascularisé par les perforantes des deux artères interventriculaires antérieure et postérieure. Il se divise en une branche droite et en une branche gauche, elle-même divisée en faisceaux antérieur et postérieur. 
 
Le noeud du sinus est très richement innervé en connexions adrénergiques (sympathique thoracique) et cholinergiques (nerf vague). Le noeud du sinus reçoit préférentiellement les fibres droites, alors que le noeud AV est plutôt innervé par les fibres gauches [7]. L'activité cardiaque au repos est nettement dominée par l'influence vagale. 
 
 
 
 Classification des anti-arythmiques (Vaughan-Williams)
Classe I : blocage des canaux Na+ 
    - 1a: blocage additionnel modéré des canaux K+ (quinidine, procaïnamide) 
    - 1b: pas de blocage additionnel (lidocaïne, phénytoïne) 
    - 1c: blocage additionnel faible des canaux K+ (flécaïnide) 
Classe II : blocage des β-récepteurs (β-bloqueurs)
Classe III: blocage des canaux K+ 
    - Blocage additionnel des β-récepteurs (sotalol)
    - Blocage additionnel modéré des canaux Na+ et Ca2+ (bretylium, amiodarone) 
Classe IV: blocage des canaux Ca2+ (verapamil, diltiazem)


© CHASSOT PG, RANCATI V, Mars 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
 
Références
 
  1. BELARDINELLI L, ISENBERG G. Isolated atrial myocytes: adenosine and acetylcholine increase potassium conductance. Am J Physiol 1983; 244:H737-47
  2. CAMM AJ, CAPUCCI A, HOHNLOSER SH, et al. A randomized active-controlled study comparing the efficacy of vernakalant to amiodarone in recent-onset atrial fibrillation. J Am Coll Cardiol 2011; 57:313-21
  3. GILLIS AM. Atrial fibrillation and ventricular arrhythmias. Sex differences in electrophysiology, epidemiology, clinical presentation, and clinical outcomes. Circulation 2017; 135:593-608
  4. LAU W, CORCORAN SJ, MOND HG. Pacemaker tachycardia in minute-ventilation rate-adaptative pacemaker induced by electrocardiographic monitoring. Pacing Clin Electrophysiol 2006; 29:438-40
  5. PSOTKA MA, TEERLINK JR. Ivabradine. Role in the chronic heart failure armamentarium. Circulation 2016; 133:2066-75
  6. ROSEN MR, SCHWARTS PJ, et al. The Sicilian Gambit. A new approach to the classification of antiarrhythmic drugs based on their actions on arrhythmogenic mechanisms. Circulation 1991; 84:1831-51
  7. RUBART M, ZIPES DP. Genesis of cardiac arrhythmias: electrophysiological considerations. In: ZIPES DP, LIBBY P, BONOW RO, BRAUNWALD E. Braunwald's heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. Philadelphia:Elsevier Saunders, 2005, 653-95
  8. SCHWARTZ PJ, ZAZA A. The Sicilian Gambit revisited. Eur Heart J 1992; 13(Supppl F):23-9
  9. THOMPSON A, BALSER JR. Perioperative cardiac arrhythmias. Br J Anaesth 2004; 93:86-94 
  10. VAUGHAN WILLIAMS EM. Classification of antiarrhythmic drugs. In: SANDOE E, et al, edit. Cardiac arrhythmias. Sodertalje 1970, 449-72