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Le burnout


Trente pourcent des professionnels travaillant dans un bloc opératoire souffre d'un haut degré de stress [10]. Ce stress constant éprouvé pendant de nombreuses années peut conduire à un état d’épuisement professionnel. Ce syndrome décrit un tarissement progressif des ressources de l’individu, lié à une relation d'aide qui ne fournit plus la gratification qu'il en attend [2,5]. Le terme de burnout, emprunté à l’argot de la drogue, a été utilisé pour décrire la fatigue et la frustration ressenties par des personnes travaillant comme volontaires dans des cliniques dédiées à des marginaux et à des drogués [5]. Par définition, cet épuisement survient chez des gens normaux qui s'investissent passionnément dans un travail de prise en charge des autres sans en apercevoir le déséquilibre relationnel, et qui perdent progressivement leur énergie et leur motivation dans des situations excessivement harassantes. Son intensité est liée à l’écart que ressent le sujet entre ses exigences face à la demande et ses capacités à y répondre, sans qu’on puisse en définir une échelle objective. L’importance démesurée accordée actuellement à la performance et au succès à court terme impose à chacun des attentes excessives par rapport à ses capacités. En médecine, le souci d’une disponibilité permanente entretient le sentiment d’être indispensable [1]. Le burnout se différencie de la dépression par le souci de relever les défis coûte que coûte, car être à bout ne colle pas avec l’idée que l’individu se fait de lui-même, alors que le dépressif abandonne face à la tâche. Ce concept a été ultérieurement systématisé en trois composantes distinctes par Maslach [7] : 
 
  • Epuisement émotionnel, caractérisé par une absence d’énergie, une détresse morale, une lassitude et une irritabilité chroniques.
  • Dépersonnalisation, qui est une perte d'affectivité voisine du cynisme, aboutissant à voir les patients comme des objets.
  • Manque d’accomplissement personnel, ou perte d'estime de soi, traduite par des sentiments d'incompétence, d'inefficacité et d'inutilité. 
 
L'épuisement émotionnel, noyau initial du syndrome de burnout, en est toujours l'élément prédominant; il est directement lié à la surcharge des demandes qui pèsent sur l'individu et à son impossibilité d'y répondre ou de contrôler efficacement son travail ; cette perte d'autonomie s’accompagne d’un sentiment de frustration et de culpabilité, car le soignant ne peut plus accorder aux autres l’énergie qu’il estime leur devoir. La dépersonnalisation est plutôt liée à l'insuffisance des ressources, et aux difficultés relationnelles entre collègues ou avec des patients non compliants ; elle est souvent considérée comme une réaction à l'épuisement ("réponse aux autres") sous forme d'une stratégie de repli protecteur dans une froideur détachée de toute relation personnelle avec les patients [2]. Ce comportement est renforcé par l’image d’un maintien stoïque et distant que le thérapeute veut donner de lui-même, et par la nécessité d’atténuer le risque de compromettre l’efficacité thérapeutique par la pitié ou l’angoisse. La troisième composante du syndrome est la perte d’accomplissement personnel due au sentiment d’absence de gratification ("réponse pour soi"). En effet, le sentiment d’être performant et d'accomplir son travail en respectant ses propres exigences éthiques protège l’image que le soignant a de lui-même face à la surcharge des demandes et à la difficulté des relations. Lorsque ce sentiment est perdu, l’effet-tampon ne fonctionne plus, et la mésestime de soi vient renforcer la sensation de lassitude. La pression économique, le poids de la bureaucratie et la volonté administrative de contrôler toutes les activités hospitalières sont à la base d'un sentiment de frustration chez les praticiens, qui ressentent une perte de la relation de confiance avec les gestionnaires et qui en sont démoralisés.
 
Les deux premières composantes sont fortement reliées entre elles, alors que le troisième élément peut évoluer de manière assez indépendante : les médecins affichent typiquement des scores très sérieux pour l'épuisement émotionnel (jusqu'à 58%) et moyens pour la dépersonnalisation (environ 35%), alors que leur sentiment d'accomplissement personnel reste satisfaisant car, même épuisés, ils sont fiers de ce qu’ils font. Toutefois, les services de soutien affichent des scores d’accomplissement personnel nettement inférieurs à ceux des services de soins cliniques. En effet, ils souffrent de ne pas ressentir la gratification offerte par la guérison des malades qu’ils ont traités, puisqu’ils n’ont pas d’activité thérapeutique directe et qu’ils ne voient pas les malades en-dehors du bloc opératoire ou du service de radiologie [9]. En milieu infirmier, où l'incidence du burnout est sensiblement plus élevée, la perte du sentiment d'accomplissement personnel et de l’estime de soi est en général au même niveau que les deux premières composantes. S’échapper de la sphère des soins pour se cantonner dans la gestion n’offre aucun refuge, car l’existence conserve son caractère unidimensionnel : plus de la moitié des chefs de service d’anesthésiologie souffre de burnout (score élevé chez 28% et modéré chez 31% d’entre eux) [3] ; les principaux facteurs incriminés sont le manque de satisfaction professionnelle et l’absence de support au travail et en famille. Chez les assistants d'anesthésie, un score de burnout élevé est présent chez 41% des personnes interrogées, avec une prédominance féminine et une association avec des horaires de travail > 70 heures par semaine et/ou une fréquence de garde > 1 jour tous les 5 jours. D'autre part, 22% des assistants ont des symptômes de dépression [4]. Ceux qui souffrent de burnout ou de dépression commettent 16 fois plus de manquements à la sécurité et à la bonne pratique que ceux qui n'en souffrent pas. Ce chiffre monte à 40 fois chez ceux qui sont victimes à la fois de burnout et de dépression (17% du collectif) [4].
 
Même s'il lui ressemble, le burnout n'a pas la même étiologie que la dépression. Il frappe des personnes essentiellement normales, plutôt perfectionnistes et très investies dans leur tâche, qui considèrent la fatigue comme une défaillance et se battent pour ne pas céder au découragement. Leur sens excessif des responsabilités les conduit progressivement au doute sur leurs capacités, à la culpabilité, à la rigidité et l'incapacité à déléguer [8]. Elles souffrent d'un manque de reconnaissance et d'une mésestime de leur engagement [6]. La prise en charge est autant individuelle qu'institutionnelle. Le sujet peut apprendre à établir la bonne distance entre les évènements et lui-même, et à trouver l'équilibre entre son sens aigu du devoir et la sauvegarde de sa santé mentale; il peut apprendre à poursuivre l'excellence et non la perfection qui est un but par définition inatteignable; il peut développer sa résilience de manière à survivre en harmonie avec un milieu difficile. L'institution peut modifier son style de gouvernance, renforcer l'esprit d'équipe, laisser davantage d'indépendance dans le travail, réduire la pression à la productivité, et éviter de laisser se développer une répartition des tâches ressentie comme injuste.
 
 
 
 
Le burnout

Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants, ou burnout, est lié à une relation d'aide qui ne fournit plus la gratification que l'individu en attend. Il est caractérisé par 3 composantes:
    - L’épuisement émotionnel
    - La dépersonnalisation
    - La perte de l’estime de soi

Il atteint essentiellement des personnalités normales, très investies dans leur engagement, qui travaillent dans des services de soutien à haut risque (anesthésistes, urgentistes, intensivistes) ou dans des soins à faible incidence thérapeutique (cancérologie, soins palliatifs)
Les personnes émotionnellement épuisées peuvent devenir un facteur de risque pour la sécurité
 
 
 
© CHASSOT PG  CLAVADETSCHER F  Mars 2010, mise à jour Janvier 2012, Juillet 2017


Références

 
  1. BRÜHLMANN T. Diagnostic et traitement du burnout en pratique. Forum Med Suisse 2012; 12: 955-60
  2. CANOUI P, MAURANGES A. Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants. Paris: Masson, 1998
  3. DE OLIVEIRA GS, AHMAD S, STOCK MC, et al. High incidence of burnout in academic chairpersons of anesthesiology. Should we be taking better care of our leaders ? Anesthesiology 2011; 114:181-93
  4. DE OLIVEIRA GS, CHANG R, FITZGERALD PC, et al. The prevalence of burnout and depression and their association with adherence to safety and practice standards: a survey of United States anesthesiology trainees. Anesth Analg 2013; 117:182-93
  5. FREUDENBERGER HG, RICHELSON G. Burnout: The high cost of achievement. New-York: Doubleday, Garden City, 1980
  6. KAKIASHVILI T, LESZEK J, RUTKOWSKI K. The medical perspective on burnout. Int J Occup Med Environ Health 2013; 26:401-12
  7. MASLACH C. JACKSON SE. The Maslach burnout inventory. Manual. 2nd edition. Consulting Psychologists Press. Palo Alto, California, 1986  
  8. RAMA-MACEIRAS P, JOKINEN J, KRANKE P. Stress and burnout in anaesthesia: a real world problem? Curr Opin Anaesthesiol 20015; 28:151-8
  9. RAMIREZ AJ, GRAHAM J, RICHARDS MA, et al. Mental health of hospital consultants: the effects of stress and satisfaction at work. Lancet 347:724-728, 1996
  10. TRAVERS V, WATRELOT A, CUCHE H. Evaluation of the level of stress and indicators in physicians working in the operating room. Presse Médicale 2012; 41:e577-e585