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Analyse segmentaire

L'extrême diversité des malformations cardiaques demande une classification. Il est pratique de se référer à un concept de base adopté par les anatomo-pathologistes, qui est celui d'une analyse segmentaire; celle-ci divise le coeur en trois segments [10,12]: 
 
  • Le segment auriculaire, qui comprend les oreillettes et les grandes veines ;
  • Le segment ventriculaire, qui comprend les ventricules et les valves auriculo-ventriculaires ;
  •  Le segment artériel, qui comprend l'aorte et l'artère pulmonaire avec leurs valves respectives.
Ces trois segments sont liés entre eux par deux jonctions (Figure 15.1):
 
  • La jonction atrio-ventriculaire ;
  • La jonction ventriculo-artérielle.
     
Figure 15.1 : Analyse segmentaire du coeur. Celui-ci est divisé en 3 segments (auriculaire, ventriculaire et artériel) reliés entre eux par 2 jonctions (auriculo-ventriculaire et ventriculo-artérielle). Le retour veineux fait partie du segment auriculaire ; les valves auriculo-ventriculaires font partie du segment ventriculaire et les valves ventriculo-artérielles du segment artériel [4].
 
Chaque segment est défini par sa morphologie intrinsèque, car la position et la taille des cavités cardiaques ne permettent pas de les identifier à coup sûr: chacune peut être permutée, atrophique, hypertrophiée ou même absente. Cinq critères sont utilisés pour déterminer les structures anatomiques du cœur [5].
 
  • Situs: il peut être solitus (normal) ou inversus (hétérotaxie): comme le situs est concordant avec le status abdominal (sauf dans de très rares cas n'atteignant jamais l'âge adulte), il est essentiellement défini par la position de l'oreillette droite (OD) qui reçoit la veine cave inférieure (VCI) ou, à défaut, les veines sus-hépatiques en provenance du foie. L'incidence de l'hétérotaxie est de 0.8 pour 10'000 naissances [6].
  • La concordance ou la discordance de deux segments successifs: au lieu de se suivre dans une position normale (concordance), deux segments peuvent être dans une position relative inappropriée (discordance): l'axe gauche-droit de l'un est à 180° par rapport à celui de l'autre.
  • Les connections segmentaires: les parties jonctionnelles entre les segments sont le canal atrio-ventriculaire entre les oreillettes et les ventricules, et l'infundibulum entre les ventricules et les artères.
  • Les marqueurs propres de chaque chambre cardiaque; le VG, par exemple, est défini par la présence de deux piliers, d'une valve mitrale bicuspide, de trabéculations fines et d'une chambre de chasse partiellement fibreuse.
  • Les anomalies associées: ce peut être une structure dysmorphique, une lésion obstructive ou un défaut dans un septum (shunt). 
Les descriptions anatomiques des structures et des pathologies faites dans ce chapitre seront essentiellement basées sur l'imagerie échocardiographique [2,3,7,9,11,13]. Elles seront illustrées par des schémas et des images obtenues par échocardiographie transoesophagienne (ETO).
 
Segment auriculaire
 
Le situs cardiaque est déterminé par la position des oreillettes. Dans la vaste majorité des cas, il est identique au situs abdominal; les discordances trans-diaphragmatiques ne surviennent que dans des pathologies sévères et très rares, qui ne se rencontrent pas chez l'adulte. C'est la jonction avec la veine cave inférieure (VCI) qui permet d'identifier l'OD; en son absence, ce sont les veines sus-hépatiques qui se jettent dans l'OD. L'OD et le foie, facile à repérer, sont donc du même côté. Les veines pulmonaires peuvent s'aboucher ailleurs que dans l'oreillette gauche (OG) en cas de retour veineux pulmonaire anormal.
 
Les oreillettes peuvent encore se différencier par leur anatomie propre. L'OD a un appendice auriculaire court, obtus et pyramidal; elle abrite la fossa ovalis du septum interauriculaire et reçoit l'insertion de la valve d'Eustache. Sa paroi est partiellement trabéculée; la frontière entre la partie lisse et la partie trabéculée est marquée par une crête (crista terminalis) qui court d’une veine cave à l’autre (voir Figure 14.28). L'OG, dont la paroi est entièrement lisse, a un appendice auriculaire en forme de doigt, long et pectiné. Il arrive que les deux oreillettes aient les mêmes caractéristiques anatomiques : on parle d’isomérisme ou oreillettes en miroir. L’isomérisme droit (deux OD) est habituellement associé à une absence de rate (asplénie), alors que l’isomérisme gauche (deux OG) est caractérisée par des rates multiples (polysplénisme) [6].
 
Jonction auriculo-ventriculaire
 
La jonction entre le septum interauriculaire, le septum interventriculaire, le feuillet septal de la valve tricuspide et le feuillet antérieur de la valve mitrale forme la crux interne du coeur. Ces quatre structures peuvent présenter un défaut de coalescence et laisser un orifice au centre du coeur: c'est le canal atrio-ventriculaire (canal AV), ou endocardial cushion defect. Normalement, l'insertion septale de la valve tricuspide est distale de 5-10 mm par rapport à celle de la valve mitrale (0.7 cm/m2). Les deux valves sont sur le même plan en cas de canal atrio-ventriculaire (Figure 15.2) [8].
 

Figure 15.2 : Jonction auriculo-ventriculaire. Dans la situation normale, l’insertion septale de la valve tricuspide est dans une position plus apicale que celle de la valve mitrale. Le décalage est de l’ordre de 1 cm chez l’adulte (0.7 cm/m2). Les deux valves sont sur le même plan lors de canal auriculo-ventriculaire commun (canal AV).
 
La jonction atrio-ventriculaire est concordante quand les oreillettes et les ventricules se suivent dans le bon ordre. Elle est discordante lorsque chaque oreillette est connectée au ventricule contro-latéral. En cas de discordance, la valve tricuspide reste attachée au ventricule droit (VD) et la mitrale au ventricule gauche (VG). Lorsque les deux oreillettes sont reliées à un seul ventricule, on parle de ventricule à double entrée, ou double-inlet ventricle. Si une valve atrio-ventriculaire s'ouvre sur les deux ventricules à la faveur d'une communication interventriculaire (CIV), on parle d'overriding; cette malformation peut être complétée de straddling lorsque des cordages de la valve vont s'insérer à travers la CIV sur une paroi du ventricule controlatéral (Figure 15.3).
 

Figure 15.3: Jonction atrio-ventriculaire. A: surplomb (overriding);  la valve mitrale surplombe le septum, son orifice s'abouche dans les deux ventricules, mais l'appareil sous-valvulaire est du même côté. Elle est connectée au ventricule qui reçoit > 50% de sa surface. B: Straddling; l'appareil sous-valvulaire de la valve qui surplombe, en l’occurence la mitrale, est inséré des deux côtés du septum ; une partie des cordages croise la CIV. 
 
Segment ventriculaire
 
Un ventricule est composé de trois parties: une chambre d'admission, un corps trabéculé et une chambre de chasse. On considère comme un ventricule une chambre qui reçoit plus de 50% de l'ouverture de la valve auriculo-ventriculaire correspondante; en dessous de cette valeur, on la considère comme une chambre rudimentaire. La position, la forme et la taille sont des repères traîtres pour définir quel ventricule est le droit ou le gauche, car ces données peuvent être profondément perturbées. D'autres critères sont utilisés pour les différencier (Figure 15.4) [3].
 
     

Figure 15.4 : Différentiation du VD et du VG. Le VD est relié à une valve tricuspide (1) et contient 3 piliers (ou plus) dont un est situé sur le septum (2) ; sa chambre de chasse est entièrement musculaire (3) ; il présente une forte trabéculation (4) et en général une bande modératrice musculaire bien différenciée (5). Le VG est connecté à une valve à 2 feuillets (6) et ne contient que 2 piliers (antéro-latéral et postéro-médian, parfois unique) (7), dont aucun n’est implanté sur le septum ; il est faiblement trabéculé (8) et sa chambre de chasse comprend une continuité fibreuse entre la valve aortique et le feuillet antérieur de la mitrale (9). Le décalage entre les insertions septales de la tricuspide et de la mitrale (10) différencie le VD (insertion basse) du VG (insertion haute) (vue 4-cavités 0-20°) ; cet élément est perdu en cas de canal AV, puisque dans cette pathologie les deux valves sont insérées au même niveau [1].
 
Un ventricule droit se distingue par:
 
  • La présence d'une valve tricuspide, insérée plus bas que la valve mitrale au niveau septal (sauf dans le canal AV);
  • Trois muscles papillaires (ou plus), dont un a une insertion sur le septum interventriculaire;
  • Des trabéculations épaisses et la présence d’une bande modératrice (travée musculaire qui traverse la cavité);
  • Une chambre de chasse conique et entièrement musculaire (infundibulum); il n'y a aucune continuité entre les valves tricuspide et pulmonaire.
 
Un ventricule gauche se reconnaît à:
 
  • La présence d'une valve bicuspide (mitrale), insérée au-dessus de celle de la valve tricuspide (sauf dans le canal AV);
  • Deux muscles papillaires, parfois fusionnées en un seul, dont aucun n'a une insertion sur le septum interventriculaire;
  • Des trabéculations plus fines;
  • Une chambre de chasse partiellement fibreuse, avec une continuité fibreuse entre la valve mitrale et la valve aortique.
 
Jonction ventriculo-artérielle
 
La jonction est concordante ou discordante selon que le ventricule est connecté au vaisseau approprié ou non. La transposition des gros vaisseaux (TGV) est le cas le plus fréquent de discordance ventriculo-artérielle : le VD est connecté à l’aorte et le VG à l’AP (D-TGV). Un ventricule à double issue (double-outlet ventricle) est caractérisé par une disposition dans laquelle plus de 50% d'une valve ventriculo-artérielle est connecté au même ventricule que l'autre vaisseau, que ce ventricule soit droit, gauche ou unique. Les valves peuvent manifester un overriding, notamment en cas de CIV membraneuse comme dans la tétralogie de Fallot, mais le straddling est impossible puisqu'elles n'ont pas de cordages (Figure 15.5).
 

Figure 15.5 : Pathologies de la jonction ventriculo-artérielle. A : situation normale, l’aorte (Ao) et l’artère pulmonaire (AP) se croisent à 45°, l’AP étant antérieure. L’AP se reconnaît au fait qu’elle se bifurque en deux branches 4-5 cm après son origine ; l’aorte ascendante est un long tube qui ne donne aucune branche avant les vaisseaux de la crosse ; les nombreuses anomalies coronariennes ne permettent pas d’utiliser l’implantation des coronaires comme un critère définissant l’aorte. B : ventricule droit à double issue (VDDI, double-outlet right ventricle ou DORV) ; la bascule du septum, avec ou sans CIV, fait que les deux vaisseaux sont originaires du VD. C : transposition des gros vaisseaux (TGV) ; l’aorte est issue du VD et l’AP du VG ; à l’échocardiographie, les deux vaisseaux sont parallèles en vue long-axe 120°, les deux valves sont sur le même plan en court-axe (0-40°). En général, les gros vaisseaux sont parallèles dans le plan sagittal lors de D-TGV (aorte antérieure et AP postérieure) et côte-à-côte dans le plan frontal lors de L-TGV.
 
Segment artériel
 
Deux vaisseaux sont issus du coeur, l'aorte, qui est postérieure, et l'artère pulmonaire (AP), qui est antérieure; en situation normale, ils se croisent dès leur origine. L’aorte ne donne ses premières branches que distalement dans la crosse, alors que l’AP se bifurque en deux branches après 4-5 cm. Les coronaires ne sont pas un critère de différenciation car elles peuvent être issues de l'aorte ou de l’AP. Lorsque leur septation embryologique ne s'est pas produite, les deux vaisseaux sont fusionnés en un seul (truncus arteriosus) [6].
 
Shunts et obstructions
 
Le shunt est une communication entre la circulation systémique et la circulation pulmonaire qui peut se situer à différents niveaux (voir Shunts).
 
  • Retour veineux: veine pulmonaire drainée dans l'OD;
  • Niveau auriculaire: CIA;
  • Niveau de la crux: canal AV;
  • Niveau ventriculaire: CIV; 
  • Niveau artériel: canal artériel, collatérales aorte-AP.
Les obstructions surviennent essentiellement dans les voies d'éjection des deux ventricules et dans l'aorte; elles peuvent être dynamiques (hypertrophie musculaire concentrique de la chambre de chasse) ou statiques (membrane sous-valvulaire, sténose valvulaire, sténose artérielle).
 
  • Voie droite: sténose dynamique de la CCVD, atrésie ou sténose de la valve pulmonaire, hypoplasie de l'AP (typiques de la tétralogie de Fallot);
  • Voie gauche: membrane dans la CCVG, sténose aortique (bicuspidie);
  • Aorte: coarctation.
Les lésions obstructives imposent un excès de postcharge au ventricule concerné, qui subit une hypertrophie concentrique. En présence de shunt, elles modifient le rapport des pressions entre les circulations droite et gauche.
 
 
 Nomenclature
L’analyse segmentaire divise le cœur en 3 segments (auriculaire, ventriculaire et artériel) et 2 jonctions (auriculo-ventriculaire et ventriculo-artérielle). L’examen anatomique d’une cardiopathie congénitale comprend 5 étapes :
    - Définition du situs à partir de l’OD
    - Définition des différentes chambres par leurs structures (nombre, position, développement) 
    - Examens des jonctions AV et venriculo-artérielle (concordance ou discordance)
    - Recherche de shunts
    - Recherche de lésions obstructives
 
 
© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour Janvier 2018


Références
 
  1. ANDERSON R, HO SH: Echocardiographic diagnosis and description of congenital heart disease: Anatomic principles and philosophy. In ST JOHN SUTTON MG (ed): Textbook of echocardiography and Doppler in adults and children. Cambridge (MA): Blackwell Science, 1996, 711-743
  2. BETTEX D, CHASSOT PG. Transesophageal echocardiography in congenital heart disease. In: BISSONNETTE B, edit. Pediatric anesthesia. Basic principles, State of the art, Future. Shelton (CO): People’s Medical Publishing House (USA), 2011, 1186-1212
  3. BHATT AB, FOSTER E, KUEHL K, et al. Congenital hesart disease in older adult. A Scientific Statement from the American Heart Association. Circulation 2015; 131:1884-931 
  4. CHASSOT PG, BETTEX D. Perioperative transoesophageal echocardiography in adult congenital heart disease. In: POELAERT J, SKARVAN K. Transoesophageal echocardiography in anaesthesia. London, BMJ Book, 2004 
  5. DUPUIS C, KACHANER J, PAYOT M. Cardiologie pédiatrique. Paris: Flammarion, 1991, 137-42
  6. KLOESEL B, DINARDO JA, BODY SC. Cardiac embryology and molecular mechanisms of congenital heart disease – A primer for anesthesiologists. Anesth Analg 2016; 123:551-69
  7. MILLER-HANCE WC, SILVERMAN NH. Transesophageal echocardiography (TEE) in congenital heart disease with focus on the adult. Cardiol Clinics 2000; 18:861-92
  8. PICCOLI GP. Morphology and classification of complete atrioventricular defects. Brit Heart J 1979; 42:633-9
  9. RUSSEL IA, ROUINE-RAPP K, STRATMANN G, MILLER-HANCE WC. Congenital heart disease in adult: A review with Internet-accessible transesophageal echocardiographic images. Anesth Analg 2006; 102:694-723
  10. SHINEBOURNE EA, MACARTNEY FJ, ANDERSON RH. Sequential chamber localization. Logical approach to diagnosis in congenital heart disesase. Brit Heart J 1976; 38:327-40
  11. STÜMPER O, SUTHERLAND GR. Transesophageal echocardiography in congenital heart disease. London: Edward Arnold, 1994, 37-38
  12. VAN PRAAGH R.  Terminology of congenital heart disease. Glossary and commentary. Circulation 1977; 56:139-43
  13. WEYMAN AE. Complex congenital heart disease. I: diagnostic approach. In: WEYMAN AE. Principle and practice of echocardiography. Philadelphia: Lea & Febiger, 1994, 979-1001